Les Rubriques à Dondine

Les Rubriques à Dondine

La face cachée de la honte

D'ordinaire, mes articles sont plutôt joyeux  et humoristiques car j'ai la tendance à préférer parler des choses positives.  Je n'essaie pas de prétendre qu'il ne m'arrive jamais rien de négatif bien au contraire, mais j'essaie le plus souvent d'éviter ces situations et de ne pas en ressasser les émotions qu'elles engendrent sans relâche.  Mais parfois, il est bon d'utiliser un exutoire lorsque notre jauge est pleine et c'est ce que je vais tenter de faire.

 

Pendant une nuit éprouvante, j'ai connu LA honte.  Pas cette honte lorsque notre enfant dit quelque chose de gênant devant tout le monde qui nous ferait rentrer sous les lattes du plancher et qu'on arrive à en rire plus tard en y repensant.  Non.  La vraie honte.  Celle qui nous emplit de colère contre nous-même. 

 

J'ai la chance d'avoir un enfant qui dort bien et qui a fait ses nuits très tôt.  (Ne me lancez pas de roches, je n'y suis pour rien et non, je n'ai pas de truc magique à vous suggérer à ce propos.)  D'ordinaire, si je l'entends qui se réveille la nuit, lui redonner la suce règle le problème dans 99% des cas et bébé retombe dans les bras de Morphée en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Dodo".  Bon.  La Dondine que je suis ne se rendort pas toujours (en fait jamais) aussi rapidement que sa progéniture, mais ça, c'est une autre histoire. 

 

Cette nuit-là j'étais tombée dans le 1% qui ne se règle pas par la suce.  Dondinette ne faisait pas que chigner légèrement dans son sommeil en quête de la tétine perdue : elle hurlait à plein poumons.  Je me suis levée au quart de tour comme si une décharge électrique de cent mille volts venait de me traverser le corps.  Je ne sais pourquoi mon cerveau stupide a eu le fol espoir de se dire pendant quelques secondes : "On va lui redonner sa suce et hop on retourne se coucher."  Évidemment, ça n'a pas fonctionné DU TOUT.

 

J'ai donc commencé par essayer de la calmer directement dans son lit : massage du ventre, main qui passe dans les cheveux, etc.  Rien n'y fait.  J'ai pris ensuite ma petite furie et tenté de la consoler dans mes bras.  Encouragée à tort par l'arrêt de ses pleurs, je me suis promenée un peu dans sa chambre, lui fredonnant une comptine et la berçant gentiment.  L'accalmie fut de courte durée et les cris reprirent de plus belles et avec plus d'intensité (en tout cas, il m'a semblé).  Le réconfort ne fonctionnant pas, qu'à cela ne tienne : on essaie le changement de couche! 

 

Je l'ai amenée à la table à langer et, bien que j'aie eu droit à une légère pause l'espace d'un prout-bedaine, ça n'a pas suffit non plus.  À ce moment-là, ça faisait déjà une bonne demie-heure que l'alarme de feu... euh de bébé se faisait entendre.  Bon.  Le procédé de relaxation dans son lit ne fonctionnait pas. Le réconfort des bras de maman ne suffisait pas.  Une couche propre ne la satisfaisait pas non plus.  Je lui ai préparé du lait dans l'espoir que le biberon pourrait lui faire passer l'envie de me crever les tympans à coups de décibels.  Bien sûr, autre séances de cris intenses puisque j'ai dû la déposer pour procéder et qu'il faut patienter pour la préparation qui me semblait interminable.  (Comme j'aurais aimé pouvoir allaiter!)  Ô bonheur : le saint grâal... euh la bouteille pardon, est fin prête!

 

D'ordinaire, le bon lait, le fait d'être collé-collé sur maman et la chaleur de ma robe de chambre toute douce dans lequel j'enveloppe ma petite chérie pour lui donner son biberon est ma botte secrète pour l'aider à dormir quand tout le reste a échoué.  Mais Dondinette était bien trop occupée à beugler et à se tordre de tous les côtés pour même remarquer que j'avais sa bouteille à la main. 

 

Rendu à ce moment-là, les cris stridents commençaient à me gruger la patience un brin.  Beaucoup même.  Dans ma tête (parce qu'il est quand même trois heures et demie du matin), j'ai hurlé intérieurement avec autant d'intensité et aussi férocement que si je l'avais fait à haute voix : "AS-TU FINI DE CRIER?".  Je ne sais pas si j'espérais qu'elle entende mon message mental et s'arrête aussi sec, mais j'ai figé pendant une seconde.  Un instant!  Je suis en train de tempêter contre mon bébé! 

 

Je sais que ça semble stupide juste de l'écrire, mais pendant un court moment, l'idée que notre enfant pourrait faire exprès de nous tenir éveillé à grands cris traverse notre esprit lorsque l'on est épuisés et à bout.  Dondinette n'était pourtant pas en train de pleurer pour le plaisir!  Je l'ai réalisé après mon "pétage-de-coche-mental".  Ça semble SI évident et c'est pourtant tellement difficile lorsqu'on sent qu'on perd nos moyens, qu'on se fait croire qu'on a tout essayé, qu'on est impuissant face à la détresse d'une personne qu'on aime plus que tout au monde. 

 

J'ai pris le temps de l'examiner et j'ai compris.  Elle faisait de l'eczéma sur les jambes (pas évident à voir à la lumière tamisée), donc ça lui démangeait et lui faisait mal.  Il est devenu évident pourquoi rien de ce que j'avais tenté jusqu'à présent n'arrivait à la soulager. Heureusement, pour moi, le problème était visible et facilement gérable une fois qu'on sait ce qui ne va pas.  Je n'imagine même pas la détresse des parents dont le problème ne se voit pas à l'oeil nu puisqu'en étant dans l'impossibilité de trouver la cause, il devient encore plus difficile de trouver des solutions ou pire encore : que les solutions pour soulager leur enfant ne sont pas accessibles! 

 

C'est pourquoi ma puce continuait de me démontrer que ça n'allait pas de la seule manière dont elle sait s'exprimer.  Son message était : "Maman, j'ai mal, aide-moi!" et même si je faisais tout mon possible pour le décoder, je n'ai pas su lui apporter mon aide.  Pire, j'avais retourné ma rage d'être aussi impuissante envers elle.  C'est pourquoi je dis avoir compris ce qu'était la vraie honte.  Celle dont on ne rit pas plus tard.  Celle qui nous fait verser une larme quand on y repense tellement nous ne sommes pas fiers de nous-même. 

 

Je n'ai pas touché mon bébé avec des gestes autres que de la douceur.  Je n'ai même pas fait un son durant ma colère intérieure.  Mais juste le fait d'avoir pu ressentir de la fureur envers ce petit être qui est pourtant le centre de mon univers m'a fait énormément de peine.  J'ai finalement été chercher de quoi apaiser les douleurs de ma cocotte qui sanglotait dans mes bras et après avoir accepté de boire son biberon, elle s'est endormie dans mes bras, ses petits doigts enroulés autour de mon pouce, toute paisible et enfin soulagée.  Je lui ai embrassé le front en lui murmurant : "Je m'excuse Dondinette. Je t'aime." et j'espère grandement qu'elle me pardonnera d'être humaine.



07/06/2015
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 15 autres membres